Greenwashing : de quoi sont accusées Air France et 19 autres compagnies aériennes ?

Alors que la Commission européenne dénonce un greenwashing massif dans le secteur aérien, que signifie cette accusation intimement liée à la crise écologique ?

Air France fait partie des 20 compagnies épinglées par la Commission européenne (Photo : NurPhoto via Getty Images)

La Commission européenne estime que les sociétés concernées ont trompé leurs clients. Dans un communiqué de presse publié ce mardi 30 avril, l'institution a annoncé avoir "envoyé des lettres à 20 compagnies aériennes", parmi lesquelles les géants Air France, KLM et Lufthansa, pour les inciter à mettre fin au greenwashing dont elles se rendent coupables dans leur pratiques commerciales et opérations marketing.

Plus précisément, les courriers envoyés par la Commission "recensent plusieurs types d'allégations écologiques potentiellement trompeuses" et "invitent (les entreprises concernées) à mettre leurs pratiques en conformité avec la législation de l'Union européenne (UE) en matière de protection des consommateurs dans un délai de 30 jours". Comme l'indique Reporterre, l'autorité européenne se réserve le droit "de prendre des mesures, y compris d’appliquer des sanctions" si cet ultimatum n'est pas respecté.

Dirigées contre des sociétés commerciales, les accusations portées par l'UE renvoient à la définition du terme "greenwashing" telle qu'elle est donnée par le média Novethic, émanation de la Caisse des dépôts et consignations : "Le greenwashing (éco-blanchiment) est une méthode de marketing consistant à communiquer auprès du public en utilisant l’argument écologique. Le but du greenwashing étant de se donner une image éco-responsable, assez éloignée de la réalité… La pratique du greenwashing est trompeuse et peut-être assimilé à de la publicité mensongère."

Dans un article intitulé "Lutter contre le greenwashing", l'agence de la transition écologique Ademe évoque pour sa part plusieurs "signes" pouvant permettre d'identifier du greenwashing dans une communication commerciale. En premier lieu, l'organisme gouvernemental désigne ainsi "la valorisation de comportements contraires à la transition : la publicité ne doit pas valoriser des pratiques contraires aux objectifs du développement durable ni dénigrer des comportements positifs".

L'Ademe dénonce ensuite comme une pratique de greenwashing "l’absence de preuve permettant de justifier l’allégation ou le manque de clarté de l’allégation environnementale", qui peut avoir pour conséquence d'empêcher le consommateur "de bien comprendre les atouts du produit ou de la démarche". Est également considérée comme du greenwashing toute forme de "promesse mensongère disproportionnée à travers le vocabulaire".

Enfin, l'organisme gouvernemental alerte sur l'utilisation d'"éléments visuels ou sonores trompeurs : l’emploi d’éléments naturels ou évoquant la nature ne doit pas induire en erreur sur les propriétés environnementales du produit ou des actions de l’annonceur". On le voit, le greenwashing répond ici à une définition simple : faire passer, dans un cadre publicitaire, un produit pour plus respectueux de l'environnement qu'il ne l'est réellement.

L'ensemble des griefs retenus par la Commission européenne à l'encontre des 20 compagnies aériennes épinglées correspond d'ailleurs à l'un ou l'autre de ces quatre signes identifiés par l'Ademe. L'UE reproche ainsi à Air France et aux autres transporteurs aériens de "créer l'impression erronée" que le secteur de l'aviation peut contribuer à réduire les émissions de CO2 (alors qu'il en est l'un des principaux pourvoyeurs). On se situe bien dans la "valorisation de comportements contraires à la transition".

De la même manière, les entreprises concernées sont accusées d'avoir utilisé abusivement certains termes ("carburants d'aviation durables", "vert", "responsable"), contribuant à n'en pas douter à créer une "promesse mensongère disproportionnée". La Commission dénonce également des affirmations chiffrées et des outils de calculs d'empreinte carbone proposés aux clients sans la moindre "preuve permettant de justifier l'allégation".

On l'aura compris, et il suffit de tomber sur une publicité récente pour s'en convaincre, le greenwashing est aujourd'hui une tendance lourde de l'industrie publicitaire. On aurait cependant tort de réduire ce phénomène à une simple adaptation récente de ce secteur à la crise environnementale en cours. Comme l'expliquent les auteurs de l'ouvrage collectif Greenwashing : Manuel pour dépolluer le débat public, paru en 2022, la pratique ne date pas d'hier et dépasse largement le simple cadre du marketing commercial.

"Le concept de greenwashing est né dans un moment historique où, après la floraison de critiques portées par des mouvements écologistes dans les années 1960 et surtout 1970, il y a eu un contrecoup des intérêts qui avaient le plus à perdre dans une société qui s'écologiserait, notamment les géants de l'industrie fossile", explique Laure Teulières, co-auteure de l'ouvrage, dans un épisode du podcast Présages enregistré en 2022.

"En plus de ce contrecoup, il y a aussi eu une saisie par le haut de l'enjeu écologique pour le faire rentrer dans les politiques, par le biais de l'ONU et de la notion de 'développement durable', poursuit la chercheuse. C'était une manière de dire : 'c'est vrai, il y a un problème écologique et on va le prendre en charge'. À partir de la fin des années 1980, ces deux phénomènes ont fait naître un mouvement pour édulcorer le discours écologique, pour le récupérer en partie et parfois aussi pour y répondre, mais avec des méthodes insuffisantes qui peuvent cacher des questions d'intérêts."

Le terme greenwashing, souvent traduit en français par éco-blanchiment, est alors apparu pour définir cette tendance à l'édulcoration. "Pour démasquer cette réponse insuffisante, et même parfois carrément trompeuse, la société civile et plus précisément la mouvance écologiste a fait émerger ce thème de greenwashing, resitue Laure Teulières. Il est apparu à la fin des années 1980, d'abord dans le monde anglosaxon, puis dans le reste du monde en gardant cette forme anglaise."

Progressivement démocratisé ces dernières années, le terme est donc essentiellement associé à des pratiques commerciales, mais comme l'indique le chercheur Guillaume Carbou, également co-auteur de l'ouvrage évoqué plus haut, le greenwashing semble également être un terme pertinent pour définir "la tendance de notre société, dans son ensemble, à être toujours en-dessous des enjeux écologiques, c'est-à-dire la tendance de notre société à ne produire que des demi solutions, des impasses, des fausses pistes et des fausses promesses pour essayer de régler le problème écologique."

Guillaume Carbou estime ainsi que le greenwashing est ainsi le symptôme d'une société qui "peine à penser sa propre transformation". Loin de se limiter aux publicités mensongères, le greenwashing concerne aussi la capacité de certaines classes dirigeantes à se persuader qu'elles agissent de la bonne façon pour répondre aux défis environnementaux. "Cela va plus loin que la simple 'comm'' puisque ce sont bien des acteurs sincères et des véritables tentatives de prendre en charge les enjeux qui produisent aujourd'hui des fausses promesses et des fausses solutions", affirme ainsi le chercheur dans le podcast Présages.

En définitive, cette appropriation erronée du discours écologique par l'industrie fossile, mais aussi par la classe politique, produit donc des effets contraires aux promesses de verdissement affichées. En travestissant les enjeux liés à ces questions, les adeptes du greenwashing ralentissent en effet objectivement le processus même de la transition écologique. Plus grave, ils le décrédibilisent.

"On utilise la question écologique ou environnementale pour justifier tout un ensemble de politiques publiques, de normes, d'interdictions, de taxations, rappelle Guillaume Carbou. Tout cela participe à brouiller l'enjeu écologique dans la perception du grand public. Ainsi, soit par effet de saturation, soit parce qu'on constate que l'argument écologique est utilisé contre certaines catégories de la population, le greenwashing nourrit le ressentiment de la population contre l'écologie."