Pourquoi une partie de la Nouvelle-Calédonie souhaite l'indépendance, et que souhaitent ses partisans ?

Depuis deux jours, la Nouvelle-Calédonie est le théâtre d’émeutes meurtrières, en marge d’une réforme constitutionnelle adoptée mardi à Paris. Celle-ci relance le débat sur l’indépendance, qui secoue ces îles françaises depuis plusieurs décennies.

Les indépendantistes du FLNKS ont leur propre drapeau non-officiel, brandi ce 13 mai 2024, lors des manifestations en Nouvelle-Calédonie (Theo Rouby / AFP)
Les indépendantistes du FLNKS ont leur propre drapeau non-officiel, brandi ce 13 mai 2024, lors des manifestations en Nouvelle-Calédonie (Theo Rouby / AFP)

À Nouméa, les émeutes ont éclaté depuis deux jours et deux nuits. La capitale de l’archipel de Nouvelle-Calédonie compte déjà deux morts, au moment où à Paris, au sein de l'Assemblée nationale, était adoptée hier une réforme constitutionnelle qui prévoit l'élargissement du corps électoral sur l'île. Le projet de loi doit encore passer par le vote du Parlement.

Mais en Nouvelle-Calédonie, à 16 000 kilomètres de là, le texte est fermement dénoncé par les indépendantistes, qui condamnent cependant les violences et appellent à l’apaisement. Leur crainte : que la voix des Kanaks perde du poids lors des élections. Mais qui sont-ils et que défendent-ils ?

En Nouvelle-Calédonie, 41 % de la population (soit 111 000 individus) est Kanak, un peuple autochtone qui partage son territoire avec les "Caldoches" (les habitants métis, d’origine polynésienne, métropolitaine ou asiatique). La civilisation Kanak descend des Lapitas, dont la présence est attestée en Nouvelle-Calédonie depuis au moins 3 000 ans.

Après un premier contact avec les Européens (et l’explorateur James Cook, qui baptiste le pays New Caledonia) en 1774, la société est profondément transformée ; le fer remplace la pierre, de nouvelles espèces animales sont introduites et l’alcool fait son apparition. Les Kanaks se mêlent aux nouveaux arrivants jusqu’à ce que Napoléon III, désireux de renforcer la présence française dans le Pacifique, proclame l’archipel "colonie française" le 24 septembre 1853, au nez des Britanniques.

Face à l’arrivée massive de nouveaux habitants (et de nombreux condamnés politiques de France et d’Afrique), les Kanaks se révoltent plusieurs fois au cours du 19ème siècle. Mais ils sont toujours brimés par les autorités coloniales, qui leur accordent finalement la citoyenneté française et le droit de vote au sortir de la seconde Guerre Mondiale.

Après plusieurs décennies de divisions intestines politiques, c’est dans les années 1980 que la violence atteint son paroxysme. Une insurrection éclate, créant deux camps bien distincts : les opposants et les partisans de l'indépendance.

De 1984 jusqu’au drame de la prise d’otages de 27 gendarmes à Ouvéa en 1988, les "Événements" font de nombreux morts des deux côtés. Un gouvernement parallèle et clandestin, le Gouvernement Provisoire de Kanaky, prend le contrôle de certaines zones. C’est également à cette période que naît le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) : c’est via ce rassemblement de partis politiques que s’expriment les indépendantistes kanaks depuis maintenant quarante ans.

En juin 1988, la paix civile est finalement rétablie grâce à la signature des accords de Matignon. Mais avec les nouvelles émeutes de mai 2024, le spectre des violences d'il y a quarante ans plane à nouveau sur la Nouvelle-Calédonie.

Aujourd’hui, l’archipel néocalédonien conserve plusieurs symboles liés à l’identité kanak et souvent mis en avant par les indépendantistes : un hymne, une devise, des billets de banque… Mais depuis 1984, les indépendantistes du FLNKS ont aussi créé leur propre drapeau (non-officiel) et souhaitent rebaptiser la Nouvelle-Calédonie "Kanaky", en référence au peuple autochtone.

Mais tous les indépendantistes ne sont pas d’accord entre eux sur chaque détail ! Au sein du FLNKS, l’Union Calédonienne (UC) représente le principal parti, ainsi que le plus vieux. Derrière le slogan "Deux couleurs, un seul peuple", ils revendiquent une négociation "d’État à État" entre la France et la Nouvelle-Calédonie, une fois l’indépendance kanak socialiste obtenue. Un véritable sujet de désaccord avec un autre parti du FLNKS, le Parti de libération kanak (Palika), qui prône quant à lui l’"indépendance avec partenariat".

Chez l’UC, le président du mouvement Daniel Goa réclamait, dans un calendrier précis, l’accession du pays à la pleine souveraineté en 2025 et la création, dans la foulée, d’une assemblée constituante. Autant de dates qui importent peu au Palika, comme le rapporte Le Monde.

"Nous, nous le disons depuis dix ans, ce que nous voulons, c’est l’indépendance avec partenariat. Il y a des compétences que nous ne sommes pas capables d’assumer, comme la défense. Il faut que l’on discute, que la France regarde comment elle peut concilier ses intérêts avec ceux de la Calédonie". Charles Washetine, porte-parole du mouvement Pakia.

Parmi les promesses des accords de Matignon en 1988, se trouvait celle d’un référendum pour que les Calédoniens se prononcent pour ou contre l'indépendance.

Maintes fois repoussé, le premier scrutin s’est finalement tenu en 2018. À la question "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?", c’est le "non" qui l'emporte à 56,4 %. Rebelote en 2020, le résultat est presque similaire. À nouveau, un référendum est fixé en 2021 mais, boycotté par les indépendantistes, il donne 96 % de non à l'indépendance.

Depuis ces trois rejets, des négociations sont ouvertes entre loyalistes et indépendantistes pour déterminer un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie au sein de la République française.

Du côté de la métropole, plusieurs partis de gauche français (comme le PCF) souhaitent poursuivre la décolonisation entamée par les accords de Matignon. À droite et à l’extrême droite, certains Républicains (Laurent Wauquiez, Eric Ciotti) et Marine Le Pen, se sont exprimés contre l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Emmanuel Macron avait, lui, annoncé sur place son souhait de voir advenir une citoyenneté néocalédonienne "pleine et entière".

Ce mercredi 15 mai, face à l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie, le président de la République a convoqué un Conseil de défense et de sécurité nationale. Son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a, lui, "condamné de façon extrêmement forte les violences" entre forces de l'ordre et émeutiers.