Eurovision 2024 : d'Israël à l'Ukraine, pourquoi le concours est beaucoup plus politique qu'on ne le croit

La qualification d'Israël pour la finale a fait surgir le conflit à Gaza au coeur du concours. Les soutiens à la cause palestinienne ont fait part de leur colère.

Manifestation à Malmö pour protester contre la présence d'Israël au concours Eurovision (Photo by Atila Altuntas/Anadolu via Getty Images)
Manifestation à Malmö pour protester contre la présence d'Israël au concours Eurovision (Photo Atila Altuntas/Anadolu via Getty Images)

Une retransmission coupée à la télévision publique belge par l'apparition d'un message de solidarité envers la Palestine durant les demi-finales auxquelles Israel participait, entre 10 et 12 000 manifestants à l'extérieur de la salle pour protester contre la participation d'Israël à l'Eurovision, des pétitions réclamant son exclusion du concours à travers l'Europe... En pleine guerre opposant Israël au Hamas à Gaza, l'Eurovision prend une tournure politique.

"Ceci est une action syndicale. Nous condamnons les violations des droits de l’homme par l’État d’Israël. En outre, l’État d’Israël détruit la liberté de la presse. C’est pourquoi nous interrompons un instant la diffusion. #CeaseFireNow #StopGenocideNow", pouvait-on lire sur ce message diffusé à l'antenne de la chaîne VRT par les syndicats.

Des protestations autour de la participation d'Israël au concours européen de chanson qui devraient se poursuivre puisqu'Israël s'est qualifié pour la finale de l'Eurovision, prévue samedi et à laquelle participera notamment la France.

Une tournure politique qui est loin d'être une première pour l'Eurovision, un concours dont la charte promet pourtant qu'il est apolitique et qui interdit officiellement les morceaux à caractère politique depuis 2005. "Les paroles, discours ou gestes de nature politique ou similaire ne sont pas autorisés" est-il expressément écrit dans le règlement du concours.

La version initiale de la chanson interprétée par la chanteuse israélienne cette année avait d'ailleurs dû être modifiée car elle faisait allusion à l’attaque du Hamas qui a ensanglanté Israël le 7 octobre. Mais Israël n'est pas le premier pays à avoir mis la politique sur le devant de la scène de l'Eurovision.

En 2022, la Russie était ainsi exclue du concours après l'invasion de l'Ukraine, la Biélorussie avait quant ) elle été exclue l'année d'avant pour trois ans en raison des teneurs politiques des chansons proposées. Car les paroles sont scrutées à la loupe avant leur interprétation sur scène, et parfois censurées, comme cette année avec la réécriture des paroles de la chanson d'Israël.

En 2016, la représentante de l'Ukraine interprétait "1944", l'histoire de son arrière-grand-mère, une des 240 000 Tatars de Crimée déportés par Staline en 1944. Si l'organisateur avait estimé qu'il ne s'agissait pas de politique mais d'histoire, la chanson est interprétée deux ans après l'annexion de la Crimée par la Russie. Cette dernière y avait vu un message politique.

"C’est la politique qui a battu l’art", s'était alors insurgé auprès des agences de presse russes le sénateur Frantz Klintsevitch, alors que le chanteur russe apparaissait comme le grand favori. L'année suivante, l'Ukraine, qui accueillait l'Eurovision, avait interdit la participation de la candidate russe, qui avait donné un concert en Crimée annexée deux ans plus tôt sans l’autorisation des autorités ukrainiennes.

En 2015, l'Arménie avait dû changer le titre de la chanson, intitulée initialement "Don’t Deny", vue comme une référence au refus des Turcs de reconnaître le génocide arménien de 1915. En 2009, quelques mois après la conflit dans la région d'Ossétie du Sud entre la Russie et la Géorgie, l'organisation rejetait la chanson géorgienne intitulée "We Don’t Wanna Put in", un jeu de mots sur le nom du président Vladimir Poutine, jugé antirusse.

Mais quand les paroles sont censurées, il reste les drapeaux, comme à l'Eurovision 2019 organisé à Tel-Aviv. Le groupe islandais Hatari avait reçu une amende de 5000 euros pour avoir brandi un drapeau palestinien à l'issue de sa prestation.

En 2016, la chanteuse arménienne Iveta Moukoutchian avait brandi l’étendard de la région séparatiste du Haut-Karabakh, à l’occasion de la première demi-finale, en dépit du règlement qui l’interdisait.

Le public peut aussi prendre sa part en revendications politiques. Si les fouilles à l'entrée compliquent la présentation de drapeaux ou de messages revendicatifs, en 2014 et 2015, les artistes russes avaient été hués pour protester contre les lois ­antigays adoptées par Moscou. À Copenhague, en 2014, les sœurs russes Tolmatchev avaient fini en pleurs, rappelle Le Monde. Des sifflets du public auxquels la candidate israélienne n'a pas échappé lors des demi finales jeudi soir, comme le montrent plusieurs vidéos.

Outre les protestations, il existe une autre manière indirecte de faire apparaître la politique à l'Eurovision : les votes, répartis entre ceux du jury et des téléspectateurs, font transparaître amitiés et inimitiés entre pays.

Selon une analyse des votes du public réalisée par Libération, sur la période 2016-2022, le public français a le plus voté pour les candidats représentants l'Ukraine et l'Italie (38 points accordés) puis à Israël, troisième pays recevant le plus de votes du public français avec 32 points accordés. La France est d'ailleurs le pays qui a accordé le plus de points aux candidats représentants Israël.

À l'inverse, le public israélien a accordé le plus de points aux candidats représentants l'Ukraine (39 points accordés), la France arrivant en deuxième position avec 34 points du public israélien, juste devant la Russie (32 points). Le public israélien est d'ailleurs le deuxième pays à avoir accordé le plus de points aux candidats tricolores, derrière la Belgique (41 points accordés).

Une mobilisation des communautés plus que jamais d'actualité en France où les relais d'influence d'Israël ont invité à voter en faveur de leur candidate lors des demi-finales jeudi soir, en prenant pour certains comme argument de voter contre LFI, qui a notamment placé la franco-palestinienne Rima Hassan en position éligible sur sa liste aux élections européennes du 9 juin.

Dans une analyse des votes de 2004 à 2014, l'observatoire de l'opinion publique Délits d'opinion mettait en avant l'existence de trois grands groupes, rapporte Géo : les pays de l'ex-Yougoslavie, les pays nordiques et l'ancienne URSS. "Unis par des liens historiques et culturels évidents, ces pays s'échangent de manière pratiquement automatique des points élevés", note l'analyste Cécile Lacroix-Lanoë.

Il existe aussi des couples de pays qui s'échangent massivement des points en raison de "leurs relations culturelles étroites", comme Chypre et la Grèce ou la Roumanie et la Moldavie. On relève aussi de nombreux vote de l'Allemagne pour la Turquie, d'où sa communauté immigrée est largement originaire. À l'inverse, l'Arménie et l'Azerbaïdjan ne s'entraident jamais à l'Eurovision, tout comme Chypre et la Turquie.

Huées du public, drapeaux, stratégie diplomatiques, vote de la diaspora, action syndicale d'une chaine de télévision retransmettant l'évènement voire paroles modifiées de dernières minute par l'artiste, la finale de l'Eurovision samedi, qui verra la participation de 26 pays dont Israël, pourrait donc être mouvementée et sera particulièrement scrutée en France.