Annelise Hesme : "Si on n'accepte pas les propositions des prédateurs, évidemment qu'on est blacklistées du cinéma"

Le magazine Elle a publié ce lundi 13 mai les témoignages de neufs femmes qui accusent de faits graves le producteur de cinéma Alain Sarde. Parmi ces témoignages, on retrouve celui d'Annelise Hesme. Pour Yahoo, elle revient sur les raisons de sa prise de parole, 23 ans après les faits.

Annelise Hesme :
Annelise Hesme : "Si on n'accepte pas les propositions des prédateurs, évidemment qu'on est blacklistées du cinéma"

Crédit : Céline Niewsawer

Alors que le Festival de Cannes s’est ouvert ce mardi 14 mai, de nombreuses militantes, victimes et soutiens, comptent célébrer la fin de l’impunité dans le milieu du cinéma. Après la prise de parole de Judith Godrèche et sa plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour des faits de "viols sur mineur", 150 personnalités ont signé une pétition demandant une "loi intégrale" contre les violences sexuelles et sexistes.

Neuf femmes ont témoigné dans le magazine Elle contre le producteur de cinéma Alain Sarde. Toutes l’accusent de faits graves : viols, agressions sexuelles, harcèlement et même tentative de proxénétisme. Certaines d’entre elles étaient mineures au moment des faits. Les faits dénoncés remonteraient de 1980 jusqu’aux années 2000. Parmi les témoignages, l’actrice Annelise Hesme a accepté de prendre la parole à visage découvert. Entretien.

En 2001, l’actrice âgée de 25 ans se rend dans les bureaux d’Alain Sarde sur les conseils de son agente qui lui explique que le grand producteur de cinéma a été enchanté par ses scènes dans le film "Parlez-moi d’amour" de Sophie Marceau. Au cours de cet entretien, Alain Sarde n'offre pas un rôle à l’actrice mais lui aurait fait une proposition d'une toute autre nature : "J’organise des dîners avec des acteurs, des réalisateurs, des distributeurs. Ils aiment avoir à leur table de jolies femmes avec de l’esprit, comme toi. Bien sûr, c’est rémunéré, et puis si, dans le lot, il y en a un qui te plaît, libre à toi de te faire plus d’argent le soir…".

Quelle a été votre première réaction à l’issue de cet entretien ?

J'ai appelé ma soeur (Clotilde Hesme, ndlr), qui était au conservatoire à l'époque, pour la dissuader de devenir actrice. J'étais choquée, écoeurée au point de vouloir arrêter de faire ce métier. J'ai pris du recul avec le monde du cinéma et je suis devenue mère. Par la suite, j'ai eu une proposition d'Oliver Stone pour jouer dans "Alexander" et je l'ai acceptée. Au fond de moi, je savais que c'était un métier que j'aimais, dans lequel il y avait aussi des gens formidables. On en croise aussi, autrement, je ne serais pas restée dans cet enfer.

Par la suite, vous vous êtes orientée vers la télé, c'était par choix ?

Le problème dans le monde du cinéma, c'est que le pouvoir y est exercé de façon verticale. C'est souvent un grand manitou qui décide de tout. En 25 ans de carrière, sur presque chaque tournage, et particulièrement sur les tournages ciné, il m'est arrivé quelque chose. J'ai trouvé refuge à la télé. On m'a proposé de très beaux rôles et j'ai accepté. Honnêtement, quand on est mère célibataire à 25 ans et blacklistée par le cinéma, on est contente de trouver cet espace. Mais j'ai l'impression que ce "refuge" se fissure. Quand j'ai appris dans l'enquête du Elle qu'une productrice qui devait témoigner contre Alain Sarde s'est finalement retirée par peur de ne plus pouvoir vendre ses programmes, j'ai compris qu'on est à l'abri nulle part.

Lorsque vous relatez votre expérience avec Alain Sarde à votre agente, vous dites qu’elle vous met en garde avec les paroles suivantes : "Écoute, c’est le plus gros producteur de Paris. C’est sa parole contre la tienne. Tu viens de commencer, si tu veux que ça s’arrête maintenant, vas-y, va chez les flics !". C’est une tentative de dissuasion ?

"Dissuader, gentiment ou pas, je ne sais pas. Était-elle au courant ? N’était-elle pas au courant ? (Alain Sarde a été mis en examen pour viol et tentative de viol en juillet 1997 et incarcéré brièvement à la prison de la Santé. Il bénéficiera par la suite d'une ordonnance de non-lieu, ndlr). C’est elle avec sa conscience".

Ce qui transparaît dans l’enquête du magazine Elle, c’est la totale connivence du milieu avec ces hommes qui abusent de leur puissance.

"Absolument. C’était un secret de polichinelle. Comme pour Gérard, c’était 'ah bah oui, c’est Gérard'. Pour Alain Sarde, c’était la même chose. 'Alain, faut refuser les dîners, faut faire ceci, faut faire cela'. Évidemment qu’il a eu des soutiens de tous les milieux. Il s’en sortait parce qu’il avait des soutiens puissants.".

Et c’étaient des soutiens protéiformes…

"Ce que je voudrais rappeler dans ma prise de parole, c’est que ce n’est pas une guerre de femmes contre les hommes. Faut arrêter de diviser là-dessus. C’est juste une question de pouvoir. Il faut dire que ce système-là n’est plus viable. Metoo, ce n'est pas balancer des listes (référence à la rumeur sur l’existence prétendue d’une liste de dix noms d'acteurs, réalisateurs et producteurs accusés de violences sexuelles dans le milieu du cinéma démentie par Médiapart, ndlr).

Cette liste, c’est complètement dingue. C’est un backlash. Ça vient d’un sombre compte complotiste pour faire monter une sorte de buzz contre les féministes en donnant le sentiment que nous faisons une chasse aux sorcières alors que c’est nous les sorcières et c’est nous qu’on veut brûler. En France, quand on brise une omerta, on est punies".

Vous soulignez que vous connaissez beaucoup de femmes victimes…

Je connais énormément de femmes qui n’ont pas voulu témoigner, énormément qui ont peur… Mais moi aussi j’ai peur. Le courage, ce n’est pas l’absence de peur. C’est la capacité à y faire face. Il y a des jours où j’y fais face. D’autres, moins. On alterne entre l’urgence d’en parler parce qu’il faut, il ne faut plus que ça se reproduise, et la paix du silence. Moi j’étais bien aussi dans ma vie, dans la paix, dans le silence, de ne pas parler de toutes ces exactions. Et puis, on a peur, parce qu’on ne travaille pas après."

Judith Godrèche a notamment déclaré, après sa prise de parole et le dépôt de sa plainte, que sa carrière est sûrement terminée

Dans le cinéma, quand on n'accepte pas ce genre de propositions ou quand on dénonce ce genre de comportements, parce que je le rappelle, il n’est pas le seul (Alain Sarde, ndlr), évidemment qu’on est blacklistées. Ils parlent entre eux et ce qu’ils disent c’est : 'Elle est folle'. Folle, ça veut dire qu’on ne participe pas au système. C’est systémique les violences sexistes et sexuelles. Et de rajouter : "Ce qu’il faut savoir, c’est que l’impunité, c’est la norme. L’omerta et l’impunité sont si fortes que c’est un peu comme disait Voltaire : ‘Il y a des abus qui se produisent, ils restent impunis et ils passent en coutume'.

Pensez-vous que nous sommes sur la voie du changement ?

"Je ne sais pas si le système va changer ou pas. Je pense que ça va faire un plouf dans la mare et que je vais encore moins bosser qu’avant. Mais j’ai pas peur. Si le système change, je ne pense pas que je serais là pour le voir. Tout le monde connaît les personnages dans le milieu, tout le monde sait qu’il y a des exactions,… Ils sont forts en face, le mur est très solide. Ce sont des réseaux qui se soutiennent les uns les autres. Même si j’étais avocate, je ne pourrais pas changer les choses. Si je témoigne à visage découvert, c’est pour éviter que les gens ne pensent que ce sont des rumeurs, elles n’osent pas. Je l’ai fait pour valider le témoignage des autres femmes qui ont vécu des choses atroces. Alice Augustin (la journaliste qui a mené l’enquête pour Elle, ndlr) ne m’a pas du tout informée des autres témoignages. Je savais que c’était grave et que je devais valider leur parole.".

Quelle doit-être la réponse de la société selon vous ?

"Tout ça, ça sert à dire ‘stop, ça suffit’. On veut des vraies lois contre les violences sexistes et sexuelles. Il faut arrêter avec cette impunité et donner de vraies sanctions. Il faut arrêter avec les non-lieux. Non-lieu, ça ne veut pas dire que ça n’a pas eu lieu. C’est un monde de compromission où ils se protègent tous entre eux.

Est-ce qu’il faut donner des feuilles de route ? (en référence à l’appel de Vincent Lindon, ndlr), je ne pense pas. La charge mentale des femmes est déjà assez forte. Donner des feuilles de route pourquoi ? Pour expliquer que le féminisme, c’est juste de l’humanisme. C’est le masculinisme qui tue tous les jours, pas le féminisme. Il faut avancer ensemble, c’est juste de l’humanisme. Il faut arrêter d’avoir peur de ce mot".

Le magazine ELLE précise dans son enquête qu’Alain Sarde a été informé "de ces mises en cause détaillées et circonstanciées". Par la voix de son avocate, Maître Jacqueline Laffont, le producteur nie ces accusations . "Alain Sarde est indigné et anéanti par ces allégations, toutes mensongères, qui lui prêtent des comportements qu’il réprouve et qui lui sont totalement étrangers. Il les réfute avec la plus grande fermeté et affirme n’avoir jamais usé de la moindre violence ou contrainte dans ses relations avec les femmes dont le consentement a toujours été primordial pour lui.".

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