"Nous pensions partir pour 1 ou 2 jours" : après les éruptions de Grindavik, la vie suspendue des habitants évacués

Six mois après l'éruption du volcan Fagradalsfjall, les habitants de Grindavik n'ont toujours pas pu revenir chez eux. Plongés dans l'incertitude, ils sont nombreux à garder espoir et vouloir faire revivre le port de pêche.

Eva Lind Matthiasdottir, 39 ans, n’imaginait pas que sa vie allait à ce point basculer le jour où elle a quitté en pleine nuit Grindavik, petite ville côtière du sud-ouest de l'Islande menacée par le réveil du volcan Fagradalsfjall. “Nous pensions partir pour un ou deux jours. Nous ne sommes jamais revenus", soupire cette mère de famille.

Ce 10 novembre 2023, des séismes annonciateurs d’une future éruption volcanique secouent le port de pêche, poussant les autorités à évacuer la zone de toute urgence. “Ça tremblait tellement fort qu'on pouvait à peine se tenir debout”, se souvient Pall Erlingsonn, professeur de 59 ans qui a fui Grindavik comme 4 000 autres habitants.

Quelques semaines plus tard, le 18 décembre, le volcan crachait ses premières coulées de lave sur les abords du village de pêcheurs. Trois autres éruptions suivront : le 14 janvier, le 8 février et le 16 mars. Si une grande partie des habitations sont épargnées, la lave emporte sur son chemin trois maisons et creuse d'immenses fissures dans la ville.

Six mois après la première éruption, les habitants n’ont pu revenir chez eux que pour y chercher leurs affaires. Si un retour a temporairement été possible au mois de février, la ville, désormais sous la menace d’une cinquième éruption, est inhabitable.

Avec ses deux filles et les trois enfants de son mari, Eva Lind Matthiasdottir est partie vivre à Reykjavik comme de nombreux habitants évacués. Bien que la capitale islandaise ne soit qu’à une heure en voiture, la mère de famille a le mal du pays.

Comme tant d’autres, Eva Lind Matthiasdottir a quitté le confort de sa grande maison familiale et vit désormais dans un appartement. Un déménagement qui n’est pas sans conséquence sur sa vie personnelle et professionnelle. Alors que sa fille de 16 ans a quitté le foyer pour poursuivre ses études, cette employée dans l'informatique a dû reprendre le travail en présentiel pour la première fois depuis la pandémie. “Je n’ai plus de bureau à la maison. Tous nos meubles sont restés à Grindavik”, explique-t-elle.

Pall Erlingsonn, le professeur, a lui aussi du mal à digérer une évacuation qu’il vit comme un déchirement. “Grindavik me manque terriblement. Vivre ici depuis 25 ans et être évacué en un rien de temps, c’est surréaliste", lâche-t-il. "J’ai enseigné à tellement d’enfants ici…”, poursuit, nostalgique, celui qui décrit sa ville comme une "communauté très soudée".

Relogé avec sa compagne dans un petit appartement de la capitale, il continue d’enseigner à certains de ses élèves de 9e et 10e année (seconde et première) dans une école mise à leur disposition à Reykjavik. Depuis les éruptions, il n'a d'autre choix que de "prendre les choses au jour le jour”.

Sigurdur Enoksson, 59 ans, a lui aussi laissé sa vie derrière lui. Voilà près de 30 ans qu’il tenait la boulangerie de la ville. Patron de dix employés, il a dû fermer boutique du jour au lendemain pour partir à Kópavogur, dans la banlieue de Reykjavik. "Tout ce que nous avons construit pendant 29 ans a disparu", regrette-t-il.

"La ville représente tellement pour nous, tant pour notre vie personnelle que professionnelle. Cela fait plus de 20 ans que notre entreprise soutient les clubs de sports de la ville et de nombreuses activités sociales", rembobine le chef d’entreprise.

Malgré les aides financières versées aux salariés licenciés, Sigurdur Enoksson est amer. “Nous attendons que quelque chose soit fait pour les petites entreprises comme nous. Aujourd’hui, les gens endettés et les sociétés en faillite sont prioritaires. Mais nous sommes aussi des personnes. La vie est difficile de nos jours et personne ne s'en soucie”, cingle le commerçant.

Chômage, difficultés à se reloger (une centaine d’habitants n’a toujours pas trouvé de logement stable), coût de la vie plus cher dans la capitale: les conséquences socio-économiques des éruptions sont en effet nombreuses et alimentent une certaine animosité à l’égard des autorités.

Mi-avril, Pall Erlingsonn a appris que son école ne rouvrirait pas l’an prochain. Les enseignants font en effet partie des quelque 150 employés municipaux licenciés à la suite des éruptions. Une décision “insensée”, selon lui. “Si vous tuez l’école, vous tuez la communauté. Les professeurs étaient les seules personnes à pouvoir maintenir un lien entre les enfants de Grindavik et la ville”, explique-t-il.

Face aux critiques, Unnur Orradottir-Ramette, ambassadrice d’Islande en France, assure à BFMTV.com que les autorités ont fait de leur mieux pour répondre à une crise “inédite”. “Il y a beaucoup d’éruptions en Islande, mais c’est très rare que cela touche des régions habitées. On apprend beaucoup de cette période”, explique-t-elle.

La dernière éruption à avoir touché une ville remonte en effet à 1973. Cette année-là, le réveil du volcan Eldfell avait détruit plus de 400 maisons dans les îles Vestmann, au sud du pays.

Soumis aux aléas de la nature, les habitants de Grindavik font face à un dilemme: trouver un logement temporaire et attendre que le volcan se calme pour revenir à Grindavik, ou bien tourner la page et aller refaire sa vie ailleurs. Le choix est d’autant plus compliqué que la situation géologique est imprévisible, alors que la péninsule de Reykjanes est rentrée dans une phase de forte activité sismique.

Pour des raisons économiques, ils sont nombreux à vouloir partir, au moins pour quelques temps. Le gouvernement islandais a confié à une société immobilière la charge de racheter les maisons de propriétaires volontaires. Celle-ci a reçu 766 candidatures et 528 d'entre elles ont été approuvées, indique le média islandais Ruv.

Pour autant, il n’est pas question de condamner définitivement la ville, assure Unnur Orradottir-Ramette. L’ambassadrice a bon espoir que les habitants finissent par revenir à Grindavik, “d’ici une à dix années” selon elle. “C’est impossible de savoir quand exactement, mais il y a un moment où ça va s’arrêter et Grindavik sera tranquille pendant plusieurs siècles”, assure-t-elle.

En Islande, une éruption volcanique a lieu tous les cinq ans en moyenne. ”On vit avec cette nature, il faut savoir faire avec. Ce serait facile de tout interdire mais c'est pas la volonté des gens”, affirme Unnur Orradottir-Ramette.

Faire revivre Grindavilk? Eva Lind Matthiasdottir y croit. “Les habitants de Grindavík sont les personnes les plus fortes que je connaisse et, ensemble, nous pouvons tout faire. Nous serons capables de raconter notre histoire, nous en serons fiers et nous nous relèverons plus forts que jamais”, dit-elle.

Les autorités locales reconnaissent que le chemin sera long mais restent optimistes. "Si nous, les habitants de Grindavik, sommes connus pour quelque chose, c'est bien notre résilience", a affirmé à la radio islandaise Ásrún Helga Kristinsdóttir, présidente du conseil municipal de la ville.

Sur place, certains signes montrent que la vie tente de reprendre ses droits. Le 2 mai dernier, Sigurdur Enoksson a rouvert sa boulangerie. “Il n’y a presque pas d’habitants mais des compagnies de pêche ont repris le travail”, espère-t-il. “Nous serons ouverts en semaine de 7 heures à 13 heures, indique sa page Facebook, “à moins que les forces de la nature ne s’y opposent”.

Article original publié sur BFMTV.com