Derrière l’exfiltration de Raphaël Glucksmann le 1er mai, l’inexorable dégradation du climat à gauche

À un petit mois des élections européennes, l’idée d’un « pacte de non-agression » à gauche a fait long feu. L’ambiance est si délétère qu’on peine à se souvenir de l’enthousiasme qui, il n’y a même pas deux ans, aboutissait à la création de la Nupes.

Raphael Glucksmann, le 1er mai 2024 à Villeurbanne près de Lyon.
OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP Raphael Glucksmann, le 1er mai 2024 à Villeurbanne près de Lyon.

POLITIQUE - Qu’il semble loin le temps où Marie Toussaint réclamait un « pacte de non-agression » à gauche pour les européennes. Censé être une journée festive et unitaire, ce 1er mai 2024 a surtout mis en lumière le climat d’extrême animosité qui règne entre les différents partis de feue la Nupes, des socialistes aux communistes en passant par la France Insoumise.

À Saint-Etienne ce mercredi, la tête de liste PS-Place Publique aux européennes Raphaël Glucksmann a été empêchée de défiler, ciblée par des jets d’œuf et de peinture. Immédiatement, il met en cause des sympathisants de la France insoumise, assurant avoir vu « des drapeaux » du mouvement. Par la suite, l’action sera revendiquée par au moins un militant insoumis – au micro de LCI – et par un groupe de jeunes communistes local.

Mais au-delà de l’action du 1er mai, la tête de liste du PS reproche plus largement au mouvement de gauche radicale et à son fondateur Jean-Luc Mélenchon d’avoir « brutalisé » le débat public.« Quand on utilise la violence verbale, cela se traduit toujours par de la violence physique », dira-t-il à un groupe de journalistes en marge d’une conférence de presse à Villeurbanne le même jour, selon Le Figaro.

Si la Nupes a été officiellement enterrée en décembre 2023, le climat s’est dégradé bien avant. Depuis, en réalité, que la question européenne est arrivée dans les débats. La secrétaire nationale des Écologistes Marine Tondelier se dit d’emblée contre une liste commune. LFI s’étrangle et met peu à peu la pression : sans liste commune, l’extrême droite va gagner et à plus long terme, l’avenir de la Nupes tout entière qui est menacé. La numéro 1 des Verts s’agace et qualifie les insoumis de « forceurs ». On est alors en décembre 2022. Six mois après la création de l’alliance, les sourires des législatives palissent déjà.

Les échanges sur la liste commune vont malgré tout se poursuivre. Longtemps et ponctués d’invectives publiques, en dépit du « pacte de non-agression » réclamé par la tête de liste des Verts Marie Toussaint pour faire front contre l’ennemi commun de l’extrême droite. Ainsi à l’été 2023, Manuel Bompard manie le sarcasme sur X pour répondre à Marine Tondelier qui réclame « la coopération plutôt que la brutalisation » au sein de la Nupes. En août, Olivier Faure en vient à rappeler à Jean-Luc Mélenchon qu’il a « toujours le même téléphone » et lui enjoint de l’appeler plutôt que se disputer sur X - là encore, à propos des européennes. Et dire qu’en juin 2022, le même Mélenchon interrompait joyeusement une interview du socialiste avec un « coucou Olivier ! » enthousiaste...

Le 2 octobre 2023, le PS enterre à son tour l’hypothèse d’une liste commune. Une semaine plus tard, le climat déjà tendu vire à l’irrespirable après l’attaque du Hamas du 7 octobre et l’isolement de La France insoumise qui refuse d’employer le terme « terroriste » pour qualifier le raid contre Israël.

Les attaques ad hominem se multiplient. Le 20 octobre, la députée insoumise Danièle Obono tacle sur X « Marine ’Karen’ Tondelier », dans une référence péjorative à un cliché venu des pays anglo-saxons, où « être une Karen » signifie être une femme blanche ouvertement raciste. Ambiance.

En décembre, Jean-Luc Mélenchon impute directement le décès de la Nupes aux responsables écologistes, communistes et insoumis. La suite n’est plus qu’un long récit de tacles et de francs désaccords, toujours en public et jamais de façon apaisée. Exemple en mars 2024, quand la présidente des Jeunes Socialistes Emma Rafowicz accuse la « LFI sphère » d’attaques antisémites. « J’aurais souhaité que La France insoumise, avec qui j’ai milité, condamne les propos de ses aficionados », réclame-t-elle dans une interview à Libération, en demandant aux cadres de « prendre les mesures qui incombent à un parti de gauche républicain ».

Le coordinateur du mouvement Manuel Bompard balaye et reproche à la socialiste, candidate sur la liste de Glucksmann, de « participer à la campagne de dénigrement contre La France insoumise menée par les soutiens inconditionnels au gouvernement d’extrême droite israélien. »

Fin janvier, le choix de Glucksmann pour mener la liste PS redonne de l’eau au moulin des communistes, insoumis et écologistes. « La gauche qu’il représente est passée de la gauche caviar à la gauche du dollar », cingle ainsi Léon Deffontaines, tête de liste du PCF. L’argument « retour aux années Hollande » a le vent en poupe. À la Macronie qui l’accuse « d’influencer » Raphaël Glucksmann, Jean-Luc Mélenchon répond qu’il en aurait eu « honte ». Même l’annulation d’une conférence de LFI - incident qui aurait pu unir la gauche derrière la défense de la liberté d’expression, comme l’ont réclamé d’anciennes figures - tourne au vinaigre avec les socialistes, les premiers accusant les seconds d’en être en partie responsable.

Selon Raphaël Glucksmann, « 80 % » des tweets des insoumis le visent lui et sa liste. « Ils ont choisi leur adversaire », estime-t-il le 1er mai après l’incident de Saint-Étienne. Un constat partagé par le premier secrétaire du PS Olivier Faure qui, quinze jours plus tôt, fustigeait la stratégie LFI : « C’est ça le rassemblement ? C’est ça la volonté de mettre toute la gauche d’un même pas ? », égratignait-il dans l’émission Questions Politiques le 14 avril.

Réponse de LFI ? En substance, qui n’est pas avec moi est contre moi. Invitée de franceinfo ce jeudi 2 mai, la présidente des députés LFI Mathilde Panot rappelle que Jean-Luc Mélenchon a condamné l’action visant Glucksmann. Mais elle en profite aussi pour moquer son absence dans d’autres manifestations, sur la même ligne que Jean-Luc Mélenchon qui dans le même message où il « désapprouv(ait) totalement » l’expulsion soulignait aussi que cette action « fourni(sait) un rôle de victime à Glucksmann qui en profite pour nous accuser. »

Et Mathilde Panot de répondre, alors qu’elle est interrogée une éventuelle pacification des relations à gauche : « Nous avons jusqu’au dernier moment essayé d’avoir une liste unique de la Nupes dont tous les sondages montraient que si nous étions unis (...) nous serions la première force politique du pays. Je crois que ce n’est pas nous qui avons choisi de diviser » réplique-t-elle. À deux doigts d’un « qui ne marche pas avec moi est contre moi ».

Comme si l’absence d’union, certes en raison de désaccords profonds sur l’UE, justifiait des échanges d’une telle virulence entre des formatios nourrissant sur le fond des aspirations proches. Comme si la compétition électorale autorisait un niveau d’intensité, habituellement réservé à la lutte contre des adversaires idéologiques du niveau de l’extrême droite.

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